XXe / 1949 / Canari – Anciennes Mine et usine d’amiante

 

Canari - Mine et usine d’amiante (juin 2021). Photos © François Fiette.

 

Coordonnées GPS : Altitude (données GPS) : ± 65 m.

42.819906, 9.323594 ou 42°49'11.7"N 9°19'24.9"E

Adresse : 382 Borello, 20217 Canari. Inscrites à l’Inventaire Général du Patrimoine, Collectivité de Corse.

 

Le site

Ce site figure dans cet Atlas uniquement pour que vous puissiez en connaître, car si vous faites le tour du Cap-Corse en voiture ou à moto, vous longerez obligatoirement les édifices de cette ancienne usine. Ralentissez, regardez, mais ne vous arrêtez pas… Sa visite est proscrite (abondante présence d’amiante), en revanche, son histoire mérite d’être connue. C’est le contre-exemple des lieux sélectionnés dans ce livre. Le site de Canari s'étage de 15 à 600 mètres de hauteur. L’usine désaffectée occupe en elle-même 4500 m².

 

Un peu d’histoire

L’amiante est une roche possédant des caractéristiques particulières, connues depuis l’antiquité. Les Romains l’utilisaient pour la confection des poteries devant soutenir un feu, par exemple. Elle est fibrée, ce qui lui permet d’être filée et tissée ! Elle est également ignifuge. Mais elle a un défaut majeur : Elle est cancérigène. Cette dernière caractéristique était inconnue au tout début de son exploitation.

En 1898, le forgeron et mineur Ange-Antoine Lombardi découvre un filon d’amiante et l’exploite durant quelques années en vendant plusieurs tonnes de ce minerai à Marseille. Il ne se doute pas qu’il vient de mettre à jour le plus important gisement de France !

En 1901, un Marseillais reprend l’exploitation avec l’accord de la mairie. Puis en 1919 la société « Eternit » du nord de la France (« fibrociment ») mandate des géologues afin qu’ils sondent la Corse à la recherche d’amiante. Canari devient alors en 1927 une véritable carrière, adjointe d’un début d’usine de traitement et de broyage. De quelques tonnes produites on passe à 146 tonnes en 1929. L’amiante devient une roche stratégique que l’on se doit de traiter afin de ne pas dépendre d’autres nations (canada, Rhodésie, et Union Soviétique principalement).

En 1940, « Eternit » construit une unité de broyage plus importante. La Deuxième Guerre Mondiale ralenti le site industriel. Mais c’est en 1945 que la « Société Minière de l’Amiante », une émanation d’« Eternit » réorganise le tout en voyant cette fois beaucoup plus grand. Les plans de la nouvelle usine sont ceux des architectes Riccardo Capparucci et Giorgio Marchioli. De 1948 à 1952, le site ne cesse de croître. Ce ne sont plus 30 ouvriers qui y travaillent, mais jusqu’à 300. Deux cent cinquante moteurs font fonctionner l’usine. La roche est extraite à la dynamite (stockée dans la poudrière de Bastia) et transportée par chemin de fer. Dès 1961 l’usine couvre une grande partie des besoins de la France. Les roches non utilisables sont rejetées à la mer (malgré un arrêté préfectoral l’interdisant) par deux tunnels construits sans autorisation sous la route du rivage. De 1945 à 1968, ce sont plus de onze millions de tonnes de roches qui sont ainsi rejetés ! La faune et la flore ne semblent pas en avoir souffert. L’amiante est alors utilisée partout : Dans les navires pour se garantir du feu, dans la construction de bâtiments pour ignifuger et isoler, en mécanique, dans la confection de canalisations et dans bien d’autres secteurs économiques.

Pour le village de Canari, l’histoire est en demi-teinte. Il fournit en priorité la main-d’œuvre, mais celle-ci doit être formée sur place car les postes à pourvoir sont tous qualifiés.

Les habitants connaissent alors le poids de l’industrie lourde, et également ses avantages. Le travail est difficile et la pollution s’installe durablement. L’aération de l’usine est pratiquement inexistante. Des cas de mésothéliome pulmonaire sont détectés auprès des ouvriers en contact direct avec la roche et son traitement. Les cancers de la plèvre sont de plus en plus nombreux. L’omerta règne car l’économie alors florissante du village découle directement de cette industrie. Écoles, médecins et commerces s’implantent. Un centre culturel est créé. Les bars sont pleins. Les salaires sont sans commune mesure avec le salaire médiant des Corses à cette époque. La Sécurité Sociale garantie des retraites honorables. Le droit du travail est respecté alors qu’ailleurs en Corse les travailleurs agricoles, docilement sélectionnés, sont encore présentés par les curés au « patron » qui oublie souvent de payer les cotisations sociales. Le village de Canari reçoit des indemnités substantielles de la part de l’usine d’amiante, tout comme la Chambre de Commerce et d'Industrie de Bastia via les droits d’accostage des bateaux transbordeurs. Ils représentent un tiers de l’activité du port de Bastia d’alors ! 

En 1963 - 1964, le ministre de la Culture, André Malraux, s’inquiète des rejets de roches s'étendant grandement en mer au sud du site industriel. Mais rien n’est ni décidé, ni fait. 

Le 12 juin 1965 l’effondrement du cours de l’amiante et d’évidents problèmes sanitaires spécifiques, documentés depuis les années 1930 au Canada et au Royaume-Uni, entrainent la fermeture de l’usine. Monsieur Guy Meria relate de façon précise et détaillée la dégradation continue de la santé du personnel dans son ouvrage « L'aventure industrielle de l'amiante en Corse ». Il a fallu des décennies de démarches pour que les victimes corses de « l’enfer blanc » et ses maladies professionnelles, l’asbestose en particulier, soient reconnues. Une stèle est érigée en leur honneur face à la friche industrielle, à l’initiative de la mairie de Canari. 

Cette ancienne usine demeurait un problème insoluble. La commune l’a rachetée à « Eternit » en 1973 contre un Franc symbolique, et ne savait depuis comment s’en dépêtrer. Sa mise en sécurité récurrente coûte des millions d’Euros et les glissements de terrain forcent à agir. En 2023, le démantèlement total est lancé pour donner suite à un arrêté préfectoral.

Vous l’avez compris, ce site historique n’a rien de très « glamour ». Mais comme précisé plus haut, il est inévitable car il jaillit du paysage lorsque vous roulez sur la magnifique route de bord de mer du Cap-Corse. Une sorte d’incroyable verrue au sein d’un paysage idyllique.

Étonnamment, la pollution marine engendrée n’entraîne plus aucune répercussion sur l’environnement de nos jours ! Les herbiers de posidonie reprennent de l’ampleur et les poissons et crustacés ne sont pas incommodés. Selon l’IFREMER, ils sont tout à fait consommables. Cet organisme n’a aucune inquiétude environnementale concernant la zone, toujours très surveillée.

Je vous devine curieuse et curieux, j’ai donc préféré vous aviser de tout cela. À vous de vous faire une idée maintenant, aux pieds de l’ancienne usine d’amiante de Canari…

Une dernière précision : Le démantèlement de cette usine est prévu pour 2025. Des travaux uniques et inédits en Europe sont mis en œuvre ! Sont enfin prises en compte les menaces que font peser l’ancienne usine sur son environnement immédiat ainsi que les périls directs si son effondrement se produisait.

Un lieu de mémoire sera édifié en remplacement de ce qui aura été le plus vaste site industriel de l’Île.