Pascal Paoli, Général des Corses

 

1755 / 14 juillet / Paoli est élu Général de la nation corse

Il a suivi son père en exil à Naples en juillet 1739, ville de culture où il devient un érudit lisant beaucoup, adhérant aux idéaux de Jean-Jacques Rousseau. Son éducation est également assurée par son père Giacinto et l’abbé Salvini. L’assassinat de Gaffory accélère le retour en Corse de Pascal Paoli. Ce dernier est alors officier des troupes royales de Naples (artilleur), en garnison sur l’Île d’Elbe. Il revient sur l’Île de Beauté au printemps 1755 et est élu le 14 juillet général en chef de la nation corse. Paoli y combat alors son rival Mario Emmanuelle Matra (tué en 1757, beau-frère de Gaffory) et lance la construction de l’État de la Corse indépendante, qui devient ainsi un laboratoire de « Recherche et Développement » d’idées politiques modernes. Le mouvement de Pascal Paoli est d’essence populaire et méritocratique, rompant avec la noblesse en constitutionalisant le peuple souverain. Celui d’Emmanuel Matra était plus aristocratique. Paoli n’aura de cesse ensuite de rechercher « l’union de la Patrie », non sans mal.

Vu de la France comme un opposant à sa cause et comme le « Père de la Patrie » par certains Corses à l’époque, et encore de nos jours, Pascal Paoli (élu à vie) est le chef de l’État de Corse de 1755 à 1769. Il arrive à stabiliser l’île par la force et la négociation. C’est également le père de la « Constitution Corse » de novembre 1755 qui est la première Constitution moderne écrite de ce type dans le monde ! Le texte de Paoli érige l’égalité devant la Loi et impose le peuple souverain comme source du pouvoir. Les femmes ont le droit de vote dans les assemblées de villages si elles sont chefs de famille. Il apporte nombre d’avancées importantes et inédites. Accessoirement, la vendetta est très sévèrement réprimée. La Justice prend une part importante dans l’exercice du pouvoir paoliste (condamnations à mort possibles dès 1762). Elle est d’une sévérité voulue, ce qui l’oppose à l’inefficace administration génoise en ce domaine.

Pascal Paoli a besoin de ports mais ne parvient pas à soumettre les plus importants de l’Île. Alors il fonde l’Île-Rousse qui commerce internationalement dès 1763 !

C’est un patriote et un démocrate n’ayant qu’un seul but, celui de développer et hisser la Corse au sein du concert des Nations grâce à un état moderne. Un homme dit « des Lumières » qui conduit la Corse, mais pas toute la Corse. Des réticences persistent, à Bastia la génoise par exemple, sans parvenir à le mettre en difficulté.

Un des traits dominants de son action est la quête d’une « Justice Universelle » basée sur des Lois justes et impartiales pour le peuple de Corse, et par extension, pour l’ensemble des peuples. Les droits et libertés civiques et politiques et même celles confessionnelles des étrangers sont respectés. Selon lui, un État moderne doit être garant des libertés individuelles et des libertés partagées. Mais son action politique comporte également une part d’ombre. Il utilise, comme l’Ancien Régime auparavant, la « pédagogie de l’effroi » pour imposer ses vues d’État absolu. De Consulte en Consulte, le "Général à vie" se compose un droit de véto à large spectre et éloigne petit à petit la représentation populaire, sans doute pour gagner du temps et faire face aux oppositions. 

Son sobre train de vie est en résonnance avec ses convictions. Il écrit que « l’égalité des droits résiste mal à une trop grande disparité des richesses » … 

Pendant son gouvernement, qu’il forme avec des chefs de clans pourtant éloignés de l’idée de ce qu’est un état, il va tenter de faire vivre une nation dans « une forme durable et constante » … en la rendant malgré tout dépendante de la pragmatique Angleterre. Ses troupes, qui se battent vaillamment pour l’indépendance de la Corse, acceptent-elles l’Angleterre comme mentor en connaissance de cause ? Le général Gentili (1751-1798), né à Saint-Florent, s’éloigne de Paoli lorsqu’il en prend conscience. Toujours est-il que pour Paoli, elle est un modèle d’organisation politique. La France est également envisagée un temps comme alliée protectrice éventuelle par des théoriciens de l’ordre nouveau en Corse, tels que Salvini, si elle laisse aux Corses le choix de leur organisation sociale et politique. Jean-Jacques Rousseau lui-même accepte avec enthousiasme de participer à l’élaboration du système politique corse, mais ne peut donner suite à ce projet. 

En homme d’état en quatorze ans et sans grandes ressources (les impôts et amendes ne sont pratiquement pas perçus), Pascal Paoli fonde une Université antérieurement voulue par Gaffory. Elle ouvre en 1765. Paoli interdit aux étudiants d’aller étudier ailleurs car il a besoin de cadres, qui sont grandement fournis par le clergé au début. Il lève une armée et met à flot une petite marine en 1760. Dote la Corse d’un drapeau « revisité » (voir l'onglet « Le drapeau à tête de Maure »), bat monnaie et fonde son état sur des principes généraux démocratiques, écrits et en rupture. État et République qui ne seront jamais reconnus par les puissances environnantes, y compris l’Angleterre et le Vatican. 

Mais rien d’assez solide pour pouvoir s’opposer à une puissance telle que la France d’alors. Quant à s’allier avec les Anglais, c’est se jeter dans la gueule d’un autre loup, probablement plus perfide… La Corse est alors coincée entre deux rouleaux compresseurs qui ne font pas de détail et dont la guerre à grande échelle est le quotidien assumé.

Peut-être était-ce là le vœu pragmatique de Paoli que de placer une Corse libre et indépendante sous l’aile protectrice d’une grande nation. Exercice délicat…

Monnaie paolienne, Morosaglia (2022). Photo © François Fiette.

Étonnamment assez peu connu en France hexagonale, Pascal Paoli est pourtant considéré comme un personnage important par les historiens, surtout anglais et américains. Son buste est toujours exposé dans la maison du troisième Président des Etats-Unis, et sept villes des USA portent le nom de « Paoli City » ! La Corse a un statut méditerranéen incontestable mais également atlantique. Anecdotiquement, le descendant d’un Bastiais a d’ailleurs été Président du Venezuela de 1984 à 1989 (Jaime Lusinchi) !  

Pascal Paoli est reconnu comme étant l'un des principaux inspirateurs de la Déclaration d'Indépendance de 1776 et de la Constitution américaine.

Il leg par testament la majorité de son héritage au système scolaire de Corte (Université, fermée par Louis XV, et écoles), considérant l’enseignement comme essentiel à la souveraineté de l’île. Durant son généralat, il est d’ailleurs allé jusqu’à confisquer des biens d’église pour assurer les bourses d’études des étudiants.

 

1760 / 20 mai / Naissance de la flotte de Paoli

La « Consulte de Casinca » jette les bases d’une marine militaire corse ainsi que d’une flotte marchande. Pascal Paoli les veut affranchies de l’emprise d’autres nations. En réalité, depuis 1756 les marins de Farinole (non loin de Saint-Florent et de Bastia) transforment déjà des bateaux commerciaux en bâtiments corsaires armés.

 

1761 / Corte devient la capitale de la Corse

Le gouvernement siège au « Palazzu Naziunale », en centre-ville. Le clergé fait toujours partie des strates du pouvoir car selon Paoli « là où est le prêtre, est le peuple ».

 

1763 / 10 février / Traité de Paris

Fin de la « Guerre de Sept Ans » impliquants les grandes puissances européennes dont la France et l’Espagne, l’Angleterre et le Portugal. Évinçant la France de Louis XV d’une grande partie de l’Amérique du Nord, lors de la signature du Traité de Paris, la Grande-Bretagne récupère après négociations « La Nouvelle-France » qui devient la Province de Québec. L’Espagne cède la Floride à la Grande-Bretagne mais reçoit la Louisiane. La France lâche quelques îles des Antilles mais reçoit Belle-Île, Saint-Pierre-et-Miquelon et récupère La Guadeloupe, la Martinique et Saint-Domingue, etc… Bref, un super « mercato » des peuples qui se fait absolument sans leurs consentements ! La Grande-Bretagne devient la première puissance mondiale et coloniale.

 

1763 / Projet de traité avec la France

La France, par l’entremise du chevalier de Valcroissant envoyé par Choiseul, propose aux Corses sa protection par la signature d’un Traité en contrepartie d’une seule place forte à déterminer conjointement. Les négociations traînent deux ans … Jusqu’à ce que la France envoie des troupes sur le sol de Corse en 1765 à la suite de la signature du Traité de Compiègne entre Gênes et la France, toujours pour la même raison : Ramener l’ordre dans l’Île, pour et à la place des Génois qui ne sont toujours pas en mesure de le faire. La France qui négocie également avec Gênes à déjà, en réalité, d’autres ambitions concernant la Corse et refuse qu’elle tombe entre les mains d’une autre grande puissance telle que l’Angleterre. Choiseul, fort des troupes françaises sur place, propose à Pascal Paoli la protection de la Corse contre deux, puis trois places fortes, puis tout le Cap-Corse ! Bref, un jeu de dupe s’est installé, jeu qui avait certainement déjà cours dès 1763 avec la venue du chevalier de Valcroissant.

 

1764 / 6 août / Traité de Compiègne

En signant ce traité, Gênes signifie son inaptitude à abattre la République des Corses de Pascal Paoli sans une aide extérieure. La République de Gênes sollicite la France afin qu’elle poursuive son occupation militaire. Le comte Charles Louis de Marbeuf, militaire aguerri, débarque en Corse à la tête d’une armée de quatre mille hommes. Jugé trop cruel dans sa répression (particulièrement dans le Niolo), il sera remplacé par le comte de Vaux (puis le comte de Marbeuf le remplacera à son tour en 1770 et 1779). Pascal Paoli reconnait le comte de Marbeuf comme un interlocuteur valable. En 1765, il le rencontre en mars et en avril entre Bastia et Saint-Florent. Marbeuf en rend compte au duc de Choiseul. En 1766, à la demande de Choiseul, il propose à Pascal Paoli d’élaborer un plan de paix avec la République de Gênes. Son action ne s’arrête bien sûr pas là, sa mission première étant de « pacifier » la Corse militairement, ou du moins d’en donner l’assurance à Gênes.

Le comte de Marbeuf devient par la suite Gouverneur de l’Île de Corse, s’y fait ériger un château à Cargèse où il reçoit la famille Bonaparte (il est le parrain de Louis Bonaparte). Il meurt de maladie en 1786. Son château de Cargèse est totalement détruit par les Corses en 1789.

Le comte de Marbeuf, illustration Rijksmuseum. Domaine Public.

Le comte de Marbeuf père de Napoléon ? La mère de Napoléon Bonaparte, Letizia Bonaparte, est en effet continuellement en sa compagnie. Une telle proximité fait jaser. Un Officier, Alexandre de Laric, précise que « Marbeuf est attelé au char de sa belle. On ne peut rien obtenir de lui pour quelque raison que ce soit. On ne peut même pas le voir ». Victor Colchen renchéri en écrivant que Marbeuf est « follement amoureux de Madame de Buonaparte ». Rumeur, vérité, jalousie ? De là à supposer que Louis Bonaparte (futur roi de Hollande) est son fils… Napoléon 1er lui-même doute de sa propre paternité avec Marbeuf ! Il y voit peut-être en partie l’héritage de ses qualités militaires.

Lors de son retour d’Égypte il en arrive à calculer les dates possibles de sa conception avec les scientifiques Berthollet et Monge qui l’accompagnent ! On ne connait pas le résultat de leurs calculs… Toujours est-il que lorsque Letizia Bonaparte fuit la Corse avec ses enfants, elle emporte avec elle très peu de chose dans la précipitation. Mais elle n’oublie pas d’emmener un portrait, celui de Marbeuf. Ce portrait ne la quittera plus jusqu’à sa mort.

Évidemment, il faut rester sérieux… mais ce serait tout de même « amusant », n’est-ce pas ? Dans les décennies ou les siècles à venir, en ambiance historique totalement apaisée concernant l’Empereur, d’éventuelles recherches ADN donneront certainement la réponse. Sacré comte de Marbeuf !

 

1765 / Inauguration de l’Université de Corte

Trois cents étudiants s’y inscrivent dont Charles Bonaparte, le père de Napoléon 1er. Charles sera également diplômé de l’Université Panthéon-Sorbonne, de l’Université Paris-Dauphine et de l’Université Panthéon-Assas.

Elle fermera ses portes en 1769 après les événements de Ponte Novo (voir en infra « 1769 / 8 mai / Bataille décisive de Ponte Novo »). Elle réouvrira en 1981. 

 

1767 / 16 février / L’île de Capraia est investie par la flotte corse

Épisode peu connu : La maigre flotte de Paoli s’empare de l’île génoise de Capraia et de sa citadelle, mais elle est elle-même cernée par la marine de Gênes. Capraia est une petite île italienne située à l’est du Cap-Corse, toute proche des côtes insulaires. Militairement cette action reste sans effet notoire, mais politiquement la République de Gênes prend conscience que les Corses peuvent devenir gênants en Méditerranée, voire directement dangereux sur leurs côtes s’ils y fomentent des révoltes. La France clos les débats en occupant Capraia en 1768.

 

1768 / 15 mai / Traité de Versailles

Lassée des rebelles Corses, Gênes confie de façon « provisoire » l’administration de la Corse à la France pour une durée de 10 ans, avec pour mission d’y faire à nouveau régner l’ordre. La France verse de surcroît à la république de Gênes 200000 livres par an durant les mêmes dix ans en « dédommagement et par une marque de son amitié sincère ». L’Île est ainsi donnée en gage à la France et non vendu contrairement à une idée répandue, la France se réservant tacitement le droit de la conserver en cas de non-paiement. Un état financier désastreux interdit à Gênes de rembourser ce qu’elle doit. Il est à noter qu’une des clauses secrètes du Traité est que les vingt mille soldats français présents ne permettent en aucune manière aux Corses quelque indépendance que ce soit sur leurs côtes. La position stratégique de la Corse est prééminente dans toutes les guerres et tractations la concernant.

 

1768 / 9 octobre / Défaite des Français à la bataille de Borgo

Contrairement à la défaite de Borgo de 1738, celle-ci est beaucoup plus meurtrière pour les Français.

Le chevalier de Lenchères, maréchal des camps et armées du roi (1731-1780), mentionne dans son journal « un événement humiliant pour les armes du Roy ». Les troupes Corses sont alors dirigées par Pascal Paoli en personne, à la tête de 4000 hommes. Marbeuf vient d’être remplacé temporairement sur le terrain par Chauvelin qui est plus un diplomate qu’un chef de guerre. Dumouriez, vainqueur à Valmy, écrit de lui que « ce général (de Chauvelin), après avoir bien servi pendant la guerre de 1741 sous le prince de Conti, avait passé le reste de sa vie dans les ambassades ou auprès de Louis XV qui l'aimait beaucoup. Il avait perdu l'habitude de la guerre et n'y entendait rien ». Le poste avancé et retranché de l’armée française à Borgo subi les assauts des Corses, valeureux et bien organisés. 600 morts et 1000 blessés sont à déplorer du côté des Français et des centaines d’autres sont faits prisonniers. Des canons (très précieux pour les Corses qui en manquent) sont récupérés par les troupes de Pascal Paoli, ainsi que d’autres armes. Sept cents prisonniers Français sont ensuite libérés sur parole par les Corses le 10 octobre. Un fait militaire rare en ces temps violents et tout à l’honneur des combattants corses qui, par ailleurs, ne pouvaient subvenir aux besoins d’autant de soldats ennemis capturés.

La royauté commence à s’interroger sur l’intérêt de conserver sa présence en Corse, tant l’investissement militaire devient important. Constatant le ridicule de la situation pour la France, le duc de Choiseul décide d’envoyer le comte de Vaux régler ce qui devient un « problème ». Il le fera définitivement sept mois plus tard … à sa façon.