La France reprend la main

 

1769 / 8 mai / Bataille décisive de Ponte Novo

L’armée française progresse, parfois aidée par des notables achetés. À Oletta, c’est l’inverse qui tente de se produire avec l’intrusion de forces corses dans la ville tenue par les Français, grâce à la complicité des villageois (intrusion ratée, patriotes corses roués vifs). Un complot visant à éliminer Pascal Paoli est éventé. Puis de violents combats interviennent entre d’un côté les troupes françaises et leurs 22000 soldats de métier qui se dirigent vers Corte aidées de soldats corses ralliés à la France (environ un millier) et d’une puissante artillerie. De l’autre, les troupes paolistes composées d’environ 20000 Corses issus des milices populaires possédant peu de canons, et de mercenaires suisses et allemands.

À Ponte Novo, la férocité des combats fait que les mercenaires allemands désorientés en arrivent à tirer sur les troupes de Paoli ! Les Français, le comte de Vaux au commandement avec le comte de Marbeuf en soutien, sont vainqueurs au nom de leur roi Louis XV. Les historiens précisent que le non-respect des horaires du regroupement des forces corses est en partie à l’origine de leur défaite à Ponte Novo, mais que leur vaillance à bien faillit faire pencher la balance … Ils prennent en compte également la valeur militaire des forces françaises et de leurs chefs. Des notables Corses désertent. Les pertes s’élèvent à environ quatre cents hommes côté Corses (et des milliers de blessés) et une centaine côté Français, mais les chiffres sont très approximatifs. C’était LÀ bataille décisive, mais ce n’était pas un bain de sang comme l’a été la bataille de Borgo pour les Français le 9 octobre 1768, par exemple.

Bataille de Ponte-Nuovo – Document Domaine Public.

Après sa défaite, Pascal Paoli, délaissé par une majorité de ses alliés corses (dont certains sont d’ailleurs anoblis dans les mois suivants par Louis XV !) se réfugie sur un bateau anglais mouillé à Porto-Vecchio en partance immédiate pour l’Angleterre. De nombreux Corses s’exilent en Sardaigne et en Toscane.

Mais qui était le comte de Vaux, adversaire militaire direct de Pascal Paoli ?

Noël Jourda, comte de Vaux, seigneur d'Artias et de Retournac, est né le 12 mars 1705 au château de Vaux à Saint-Julien-du-Pinet (Haute-Loire).

Lors de la guerre de succession de Pologne, il fait campagne en Italie et est blessé deux fois. Puis il combat en Corse avec le grade de Capitaine au nom du roi de France Louis XV, à la demande de Gênes. En 1739, affrontant les troupes de Pascal Paoli, il a la main transpercée par une balle. Son courage lui vaut d’être nommé au commandement de la place de Corte.

Il assiège Prague en 1742 lors de la guerre de succession d’Autriche. Il assiège ensuite trois autres villes et combat directement sur les champs de bataille. Il est nommé colonel du régiment d'Angoumois. Puis il participe aux sièges de Bruxelles et de Namur, entre-autres combats. En 1747, il est blessé pendant le siège de Bergen-op-Zoom.

De 1756 à 1759, il revient combattre en Corse. Puis il est envoyé en Allemagne où il participe à la bataille de Bergen. En novembre 1760, il défend la ville de Göttingen avec sept-mille hommes et repousse les assaillants ! Il est alors promu Lieutenant Général.

En février 1769, le comte de Vaux prend le commandement de l'armée royale en Corse. Il débarque le 7 avril à Saint-Florent avec vingt-quatre mille hommes, et bat les nationalistes à la Bataille de Ponte Novo les 8 et 9 mai 1769 de façon définitive.

Comte de Vaux. Photo : Sergent Antoine Louis François.

Domaine Public.

Pascal Paoli a donc dû affronter un homme totalement rompu aux techniques militaires de l’époque ainsi qu’à toutes les horreurs de la guerre, son pain quotidien.

Il meurt de maladie à Grenoble le 14 septembre 1788 à l’âge de 83 ans. Le comte de Vaux est alors maréchal de France.

Au vu de ses états de service, la Corse n’aura peut-être été pour ce militaire endurci ayant combattu partout en Europe, qu’un champ de bataille comme un autre. Ni plus, ni moins.

 

1769 / 13 juin / Exil de Paoli en Angleterre

Il se retrouve intégré à l’élite londonienne. Bien aidé en cela par le livre, traduit en plusieurs langues, publié en 1768 par l’écrivain anglais James Boswell (Grand Surveillant de la Grande Loge maçonnique d’Angleterre) ayant pris fait et cause pour la Corse (cf. « An Account of Corsica »). Mais il est désormais totalement dépendant financièrement, moralement et politiquement du roi Georges III. À travers l’Europe et l’Amérique du Nord, des penseurs et philosophes citent en exemple la moderne politique démocratique paoliste. Pascal Paoli reviendra en Corse vingt ans plus tard, grâce aux Français.

 

1769 / ± 15 août / Naissance de Napoléon Bonaparte

À Ajaccio, « autour » du 15 août 1769. Les historiens s’échangent des données différentes à ce sujet. Sa famille a pu vouloir lier cet évènement avec la fête religieuse de l’Assomption. Il est issu de la petite noblesse corse et d’une famille d’origine italienne.

Jouissant d’une aisance en mathématique et en histoire lors de ses études, il est nommé sous-lieutenant d’artillerie à l’âge de 16 ans, après que son père Charles eu réussi à faire reconnaître les titres nobiliaires de sa famille grâce à Marbeuf.  Condition sine qua non pour que les portes des écoles militaires s’ouvrent à son fils Napoléon. Si ces titres n’avaient pas été reconnus et enregistrés, il n’y aurait pas eu de Napoléon 1er. L’Histoire de l’humanité ne tient parfois qu’à de simples feuilles de papier !

Napoléon Bonaparte se range dans sa jeunesse aux côtés de Pascal Paoli avec qui il se brouille lourdement plus tard, pour des raisons politiques et familiales, et devient en France puis en Europe celui que l’on sait.

Jacques-Louis David, Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard. Document Domaine Public.

1770-1786 / Marbeuf aux commandes

La Corse est majoritairement gouvernée par le comte de Marbeuf durant cette période. Pour les Français, une insécurité mortelle règne sur tout le territoire de l’Île. Pour Marbeuf, la répression est à la hauteur du danger. Elle est violente et collective, à l’image de celle qui sévit en juin 1774 dans le Niolo en Centre-Corse près de Corscia (voir en infra « 1774 / La Corse est jugée pacifiée »).

 

1770 / Plan Terrier et Fonction Publique

▪ Début de la rédaction du « Plan Terrier », ouvrage en dix-sept volumes qui recense exhaustivement les ressources et les biens libres de la Corse à l’usage de la royauté française. Cinq ans sont nécessaires à sa rédaction. Mais toujours pas de document pouvant s’apparenter à un cadastre.

▪ La « Fonction Publique » commence à réellement exister en Corse alors qu’elle était assez inexistante sous Gênes et même Paoli.

 

1774 / 10 mai / Mort de Louis XV

Louis XVI, son petit-fils, devient roi de France.

 

1774 / La Corse est jugée « pacifiée »

▪ Le comte de Marbeuf n’arrivant pas à éradiquer les rébellions incessantes dans l’île malgré une violente répression, choisit de payer certains rebelles afin qu’ils quittent la Corse. Une majorité d’insurgés se rend alors et l’île est considérée comme pacifiée cette année-là… Sauf dans la région du Niolo (Centre-Corse) où la rébellion perdure, menée principalement par Nicodemo Pasqualini. Le général Sionville règle cette difficulté dans le sang : Onze suspects sont pendus (dont l’un âgé d’une quinzaine d’années, Marc-Marie Albertini). La région est saccagée et les arbres sont brûlés. Même mode opératoire que les Génois dans le Niolo en 1503. Même mode opératoire que les Allemands à Tulle le 9 juin 1944 (99 pendus aux balcons et aux réverbères de la ville) et le lendemain à Oradour-sur-Glane (massacre de 643 personnes dont Félix et Cléa Aliotti, originaires de Lucciana, et leurs trois fillettes âgées de 4 ans, 2 ans et 2 mois.), etc… Ce type d’ignominie est de toutes les époques, de toutes les guerres et de tous les pays.

▪ Des soulèvements dans le Bozio sont également réprimés. Certains officiers français, malgré leur compréhension des spécificités et difficultés de la population de l’Île, font efficacement ce pour quoi ils ont été mandatés. L’évocation documentée des écrits d'un des leurs (Régiment de Picardie) est accessible ici sur le site du « Journal de la Corse », et sur le site Gallica.

▪ L’année 1775 marque la fin de la résistance armée des Corses.

 

1776 / Amnistie pour les exilés de Toscane et les prisonniers de Toulon

La France amnistie, dans un souci d’apaisement, les prisonniers nationalistes de Toulon et les exilés de Toscane.

L’administration royale s’installe sans prendre en compte les spécificités de l’Île (transhumance interdite ainsi que la farine de châtaigne, par exemple !). Elle s’assure du clergé. Quelques hauts fonctionnaires français se révèlent aussi rapaces que leurs prédécesseurs génois et heurtent des groupes d’insulaires, exsangues, qui ne peuvent plus lutter.

 

1776-1783 / Guerre d’Indépendance des Etats-Unis d’Amérique

Certains révoltés se réclament de la Corse de Pascal Paoli, ou du moins, des idées fortes qu’elle véhicule. Ironie de l’Histoire, la France se rallie aux américains en 1778 pendant que des paolistes recrutent pour l’armée anglaise… En exil à Londres, Paoli ne peut s’opposer au roi d’Angleterre qui lui verse une pension et lui offre son hospitalité (celui-ci espérant depuis toujours des bases militaires en Méditerranée). Paoli prend tout de même le risque de déclarer « qu’il ne peut vouloir de mal aux Américains ». Son idéal démocratique reste prééminent malgré le fait qu’il soit alors dans une impasse vis-à-vis de la couronne d’Angleterre.

 

1778 / Début de la construction de la route allant de Corte à Ajaccio

Établie surtout pour faciliter les transferts de troupes.

Nettement moins bonne et moins sécurisée que celle que vous emprunterez durant vos pérégrinations en Corse !

1779 / Le roi Louis XVI entreprend de racheter des esclaves Corses

Cinquante-sept esclaves corses majoritairement originaires de Bastia et Bonifacio (dont vingt-quatre femmes et enfants), détenus à Alger et à Tunis, sont rachetés aux Barbaresques par la France à l’initiative du roi Louis XVI. Il pense ainsi s’attacher la population Corse et espère la dissuader d’éventuellement se livrer à l’Angleterre.

Les esclaves, des marins pour la plupart, sont accueillis triomphalement. Certains n’ont pas revu leur famille depuis trente ans !

En réalité, le roi ne paye aucune rançon. Ce sont les Ordres Rédempteurs qui règlent la facture de 250000 livres, c’est-à-dire les Pères de la Sainte-Trinité et les Pères de la Mercy. Certains esclaves comme Marc-Antoine Bucugnani âgé de 49 ans, prisonnier avec son épouse Angela et ses cinq enfants, meurt d’épuisement à son arrivé à Calvi. Idem pour Augustin Venturini âgé de 28 ans, qui décède en retrouvant sa famille… Le « record » de captivité au Maghreb revient à Sébastien Marchetti avec 41 ans passés à l’état d’esclave.

 

Marché aux esclaves, 1836, Horace Vernet.

Photo Anagoria. Domaine public.

 

Les USA aux prises avec les Barbaresques !

 

Ce sont des faits historiques apparemment assez peu diffusés en Europe, et qui pourtant ont intensément marqué l’histoire de la piraterie. En effet, même les USA ont combattu sur les mers les pirates barbaresques ! Étonnant me direz-vous ? Eh bien … pas vraiment.

L’indépendance des États-Unis vis-à-vis de la Grande-Bretagne est effective en 1776. La Royal Navy ne protège donc plus les bateaux américains à partir de cette époque. Dès 1784, des navires marchands des USA sont attaqués par les Barbaresques en Méditerranée. Les équipages sont tués. Les survivants sont faits prisonniers puis esclaves. Une rançon énorme est réclamée (équivalente à soixante milliards d’Euros actuels !). La jeune nation naissante n’a pas les fonds nécessaires et refuse de payer. Mais elle doit s’y résoudre dès 1794 en versant des sommes astronomiques afin de tenter de récupérer ses concitoyens (elles représentaient 1/5 des revenus annuels du pays).

Que font alors les Américains en Méditerranée ? Du commerce. Uniquement du commerce. Pour se prémunir des attaques barbaresques, ils signent des traités avec les différents pays du Maghreb, et ce, afin de gagner du temps. Déjà efficaces et pragmatiques, en catimini, ils construisent une flotte de guerre capable de faire face.

En 1801, Tripoli augmente les sommes imposées aux Américains. Ces derniers cessent de payer. Le Pacha leur déclare la guerre avec l’appui du royaume du Maroc et des régences d’Alger et de Tunis. Erreur fatale ! Thomas Jefferson, fraîchement élu président des USA, ne compte plus se laisser faire. Tripoli est placée sous blocus et plusieurs victoires sont remportées par les Nord-Américains. Mais en 1803 un de leur moderne et coûteux navire de guerre, « l’USS Philadelphia », s’échoue sur un banc de sable et est attaqué par les Barbaresques. Ces derniers parviennent à s’en emparer et à l’intégrer à leur propre flotte !

Un jeune et intrépide lieutenant de l’US Navy, Stephen Decatur, est chargé de l’incendier bien que le bâtiment soit fortement gardé et défendu. Pour ce faire il arraisonne un navire turc et en février 1804, il parvient à s’approcher et à accoster de nuit la frégate « USS Philadelphia ». Il s’en empare en tuant l’équipage ennemi en silence. Soixante-quinze marins américains avaient suivi auparavant un entraînement en ce sens durant un mois. Le bateau est alors sabordé. « C’était l’acte le plus audacieux de l’époque » dira l’amiral Nelson.

Les hostilités perdurent, des marins américains sont retenus en otages, puis en 1805 un « accord » est signé. En 1812, les navires commerciaux américains sont attaqués derechef. Stephen Decatur intervient de nouveau avec succès à Alger et les Barbaresques cessent de rançonner les USA. Ceci pose d’ailleurs un vrai problème aux régences car elles n’ont alors pas réellement d’autre modèle économique que les razzias, les rançons, la contrebande et l’esclavage.

Cette guerre américano-barbaresque était assez particulière. D’abord parce qu’à l’inverse des Européens aguerris et plus encore confrontés au problème, les USA ne mêlaient pas la religion au conflit. Ils tenaient à rester à l’écart des « guerres saintes ». Pour eux, seul le commerce était en jeux. Il est à souligner que les Barbaresques eux aussi sont entrés antérieurement en conflit avec les Européens pour des mésententes commerciales profondes. Il leur était refusé de commercer en Europe car, entres autres, les Espagnols se souvenaient des durs combats les ayant opposés sur leur propre sol avant de parvenir à repousser leur invasion.  

D’autre part, ces batailles navales permirent aux architectes US de mettre au point des contre-mesures efficaces contre les tirs de boulets, même à moins de quinze mètres : Trois couches de chênes étaient employées pour fabriquer les coques de leurs innovants et allégés bateaux de guerre. Une couche de chêne de Virginie, rare mais qui ne pourri pas dans l’eau, était prise en sandwich entre deux couches de chêne blanc. Incroyable efficacité, car les boulets ne traversaient plus les coques mais rebondissaient ! Le plus vieux bateau de guerre des USA ainsi construit navigue encore, c’est « l’USS Constitution », amarré à Boston.

« Gonflés » les Barbaresques de s’en prendre aux USA ? À l’époque c’était envisageable car la nouvelle république était balbutiante. Mais leur intrépidité ne s’est pas arrêtée là ! En effet, ils sont remontés jusqu’à Reykjavik en Islande, ont mis à sac la ville puis ont ramené des centaines d’esclaves. Les côtes ouest de l’Irlande et de l’Angleterre ont eu à en souffrir également… Les historiens estiment à un million les esclaves « traités » par les Barbaresques et autres écumeurs, sans compter les morts lors des razzias. Ce sont les Français qui ont définitivement stoppé leur action après la conquête de l’Algérie en 1830, libérant ainsi les derniers esclaves « blancs ».

À proprement parler, les Barbaresques pouvaient plus s’apparenter à des corsaires qu’à des pirates car ils agissaient principalement pour les intérêts de leurs seigneurs locaux d’Afrique du Nord.